Étrange histoire de procès

Photo : Procès de cochon tel qu’imaginé au XIXe siècle. The book of days: a miscellany of popular antiquities. 1869

(Par Marie-Claude Duchesne)

Nous en sommes en 1386, à Falaise, en Normandie. Après 9 jours de procès, le tribunal judiciaire prononce la sentence. L’accusée est déclarée coupable d’infanticide. Vêtue d’habits d’homme, elle sera trainée à travers les faubourgs, conduite à la potence, pendue et brulée. La coupable : une truie. Nobles et paysans sont invités à assister à l’exécution en compagnie d’une multitude de cochons. Car cela doit servir d’exemple aux bêtes !

Entre le XIIIe et le XVIIe siècle, on verra l’apparition de procès d’animaux en Europe. Et ce ne sont pas des farces ! Lors d’incidents « criminels » impliquant les animaux, juges et magistrats seront mobilisés. Les tribunaux traiteront ces affaires le plus sérieusement du monde et en suivant toutes les règles de droit de l’époque. Les cas seront nombreux. En 1512 en Lorraine, un taureau sera condamné à être pendu. En Bourgogne, une truie sera soumise à la torture. Le greffier notera qu’elle a « avoué » un meurtre en faisant quelques « grrr, grrr ». Une autre criminelle sera mise en prison pendant 14 semaines dans l’attente de son procès.

Les tribunaux laïques ne seront pas les seuls à condamner des bêtes. De nombreuses condamnations et excommunications religieuses auront lieu à l’époque. En 1565, un groupe de dauphins s’installa dans le port de Marseille, causant plusieurs dérangements. À la demande du cardinal, l’évêque de la région vint exorciser les cétacés leur ordonnant de partir. « Les bêtes se le tinrent pour dit et ne reparurent plus. » Les vertébrés ne furent pas les seuls visés par ses condamnations religieuses. Mouches, limaces, chenilles et autres créatures ravageant les champs se voyaient régulièrement excommuniées.

Les cochons furent les plus condamnés, principalement pour infanticide. À l’époque, ceux-ci vivaient en liberté dans toutes les villes et villages où ils servaient d’éboueurs. Animaux charognards qui mangent un peu tout ce qu’ils trouvent, de malheureux incidents impliquant de jeunes enfants étaient relativement fréquents. On croyait à l’époque que les animaux étaient dotés de conscience et qu’ils étaient responsables de leurs actes. C’est pourquoi les propriétaires des animaux n’étaient jamais visés par les procès.

Pourquoi de telles cérémonies ? Parce que ces procédures sont couteuses ! On paie des bourreaux, des avocats, des gardes pour surveiller ces détenus indisciplinés, ainsi que la construction des potences. Parce que les animaux étaient parfois vus comme des « créatures de Dieu », dotés d’une conscience. On ne pouvait les abattre simplement. On devait punir à la manière des hommes. Dans le cas des tribunaux religieux, on s’attaquait seulement aux « fléaux ». Excommunier les animaux nuisibles était une sorte de feu vert à leur extermination. Le plus souvent, toutefois, les procès répondaient aux besoins de vengeance et de justice de la part de la communauté.

Ces pratiques disparurent peu à peu. On cessa de considérer les animaux comme des êtres doté d’une morale… Ces gens du Moyen Âge étaient-ils stupides ? Non. Ils s’expliquaient le monde différemment, avec les connaissances qu’ils possédaient. L’histoire des mentalités nous rappelle que l’on est jamais à l’abris des croyances irrationnelles.

Questions ? Commentaires ? mc.duchesne@outlook.com

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