40e anniversaire de la signature de la Convention de la Baie-James

Le moment où les Québécois, les Cris et les Inuits marquèrent l’histoire

Signée le 11 novembre 1975, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) est considérée comme le premier traité moderne entre un gouvernement et des autochtones. En plus d’être innovatrice sur plusieurs aspects, cette signature donnera un nouvel essor au Québec. Quarante ans plus tard, ses effets se font toujours sentir.  

La saga débute en avril 1971, lorsque le gouvernement libéral de Robert Bourassa annonce le lancement du projet de la Baie-James, un énorme pas vers l’avant pour le développement hydro-électrique de la Belle Province. Le gouvernement a toutefois oublié un important détail, cette région est habitée par plusieurs nations autochtones, qu’il n’a pas informées des projets de construction à venir.

« Imaginez, à l’époque où le projet des quatre centrales hydroélectriques est annoncé, les territoires des Cris étaient encore séparés en sections de chasse et de pêche par famille, on peut voir ça comme des fermes pour nous et ils en vivaient vraiment », raconte l’avocat James O’Reilly, qui représentera les Cris tout au long de cette histoire, alors que le droit autochtone en est à ses premiers balbutiements.

 

Procédure juridique

Sous l’initiative du jeune chef Billy Diamond, les Cris se rassemblent et décident rapidement d’agir, puisque le premier effet de la construction des barrages est l’inondation d’une partie de leurs territoires de chasse. Robert Kanatiwati, qui vit toujours à Chisasibi, intente une injonction interlocutoire contre le Gouvernement du Québec. La procédure juridique qui aboutit normalement après quelques semaines, durera 70 jours, jusqu’à ce que le juge Albert Malouf, devant lequel MO’Reilly a fait défiler des biologistes, des anthropologues ainsi que 35 Cris et Inuits pour prouver que ceux-ci ne peuvent pas se passer de leur mode de vie traditionnel, reconnaisse que les autochtones ont des droits apparents sur leurs terres. Il faut comprendre qu’il y a 40 ans, ces nations ne connaissent rien de la vie hors de leur territoire. Notre système de justice ne leur dit rien et notre nourriture les rend malade (on retrouvera des oiseaux et des phoques morts dans les baignoires des chambres d’hôtel de certains témoins).

Le jugement Malouf sera cependant cassé en Cour d’appel. La cause ira donc jusqu’en Cour suprême, où on imposera au gouvernement ainsi qu’aux autochtones de s’asseoir ensemble afin de négocier. Deux ans plus tard, la CBJNQ sera finalement signée.

 

Entente innovatrice

« Cette prise de conscience-là constitue un évènement majeur pour le Québec : découvrir de nouveaux territoires dans lesquels les autochtones sont majoritaires. C’est un territoire qui vient donc avec des responsabilités envers ceux-ci », estime la professeure de géographie à l’Université Laval, Caroline Desbiens. Dans son livre Puissance Nord, elle soutient que l’identité québécoise a été fortement marquée par le développement de ce territoire.

Non seulement c’est la première fois en Amérique du Nord que des droits autochtones sont reconnus concrètement, mais l’entente permet également une prospérité économique alors jamais égalée au Québec.

« Les conséquences de la signature de la CBJNQ ont permis l’essor des banlieues partout au Québec par exemple. Je ne sais pas combien de Québécois se sont acheté une maison grâce à leur emploi à la Baie-James », explique le professeur d’histoire à l’Université Laval, Martin Pâquet, donnant l’exemple de son père qui, grâce à son emploi dans le nord, lui paie ses études. 

Hydro-Québec et l’environnement propulsés

La société Hydro-Québec ne serait pas aussi importante aujourd’hui si ça n’avait été de la convention. En 2015, la moitié de l’hydroélectricité produite au Québec provient d’usines de la région de la Baie-James, ce qui permet de générer des milliards au Gouvernement du Québec.

Selon certains, la CBJNQ nourrira même les premiers environnementalistes de l’heure. « L’environnement à l’époque en était à ses premiers balbutiements. Il n’y avait pas de ministère de l’Environnement, pas de processus d’évaluation ni d’études d’impacts. Tout ça a commencé avec la CBJNQ », raconte le conseiller aux affaires autochtones d’Hydro-Québec, Réal Courcelles. Me O’Reilly croit même que le juge Malouf a penché de leur côté en 1973 en partie à cause de sa sensibilité envers la cause environnementale.

L’impact est aussi majeur pour les Cris. « Grâce à ce traité, nous pouvons choisir entre notre mode de vie traditionnel ou moderne. Nous avons aussi eu des routes et plus d’aéroports, donc ça a facilité nos contacts avec l’extérieur », indique le directeur exécutif du Grand Conseil des Cris, Bill Namagoose.

Ayant une forte fibre entrepreneuriale, la nation place et investit les 95 M$ qu’elle reçoit à l’époque dans plusieurs entreprises de transport, dont la société d’aviation Air Creebec.

« Je pense que la Convention de la Baie-James a permis aux Cris de rentrer dans la modernité de plein pied du jour au lendemain », résume le député d’Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou, Romeo Saganash.

Pour les Jamésiens, l’un des plus grands impacts de la CBJNQ est d’avoir créé une base d’entente, qui permet de négocier pour tous projets d’exploitation de ressources naturelles. « C’est un moment historique dans nos relations avec les Premières Nations au Québec. Il y a maintenant plusieurs structures permanentes et processus établis pour que le gouvernement et les autochtones s’assoient ensemble », croit l’actuel ministre des Affaires autochtones du Québec, Geoffrey Kelley.

 

Convention imparfaite

Malgré son importance, la CBJNQ était loin d’être parfaite. Elle sera amendée 24 fois, dont la dernière en 2012, pour permettre la création d’un gouvernement régional dans lequel la moitié des sièges est occupée par des Cris et l’autre par des Jamésiens. Jusqu’à maintenant, 32 lois ont été adoptées par les gouvernements fédéral et provincial afin d’assurer la mise en place de la CBJNQ.

En 2002, il faudra même procéder à des renégociations majeures, connues sous le nom de la Paix des braves, puisque les Cris estimaient que les gouvernements n’avaient pas tenu l’ensemble de leurs promesses. Bernard Landry, alors premier ministre du Québec et Ted Moses, alors chef du Grand Conseil des Cris, signeront une nouvelle entente, revoyant les compensations financières entre autres.

Une nouvelle problématique apparait avec la CBJNQ, celle des chevauchements territoriaux. Plusieurs autres nations autochtones revendiquent présentement des territoires, mais les frontières de ceux-ci s’entrechoquent et créent un casse-tête pour les négociateurs. Les Attikameks par exemple, demandent une partie du territoire accordé aux Cris en 1975.  

 

Nations autochtones encore en revendication territoriale au Québec:

 – Attikameks

–  Innus 

 

Signataires de la CBJNQ en 1975:

 –        Grand Conseil des Cris

–          Les Inuits du Nunavik

–          Gouvernement du Québec

–          Gouvernement du Canada

–          Hydro-Québec

–          Société de développement de la Baie-James

*Les Neskapis viendront s’ajouter aux signataires en 1978

 

Compensations financières des Cris:

CBJNQ : 95 M $

Paix des braves:

2002-2003 : 23 M $

2003-2004 : 46 M $

2004 à 2052 : 70 M $ par année, montant indexé en fonction du potentiel à développer sur le territoire dans les domaines hydroélectrique, forestier et minier.

 

Facebook
Twitter
LinkedIn
Imprimer

ARTICLES SUGGÉRÉS