Création d’une Chaire de recherche sur les femmes autochtones

La docteure en sciences de l'environnement Suzy Basile dirigera la Chaire de recherche sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones jusqu'en 2025.

La nomination de Suzy Basile comme titulaire de la nouvelle Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones est reçue avec enthousiasme avec les leaders autochtones d’Eeyou-Istchee-Baie-James.
« Nous avons de très bonnes relations avec elle et nous sommes très heureuses qu’elle soit là », assure la présidente de l’Association des femmes cries d’Eeyou Istchee (AFEI), Stella Bearskin. Elle vient à nos réunions quand nous lui demandons. »
Mme Basile a, entre autres, collaboré avec l’AFEI à une analyse du Programme de sécurité du revenu des chasseurs et piégeurs cris.
« Je suis contente de la création de la Chaire, surtout avec Suzy Basile à sa tête. C’est une personne d’exception », de dire la directrice du Centre d’amitié Eenou de Chibougamau, Jo-Ann Toulouse. Cette dernière souligne en outre que la création de la Chaire est la concrétisation d’un mouvement amorcé il y a plusieurs années.

Renforcer la gouvernance féminine

La Chaire sera basée à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue qui a décerné à Mme Basile son doctorat en sciences de l’environnement. L’Attikamek de Wemotaci y enseigne d’ailleurs depuis quatre ans, plus précisément à l’École d’études autochtones.
La Chaire est le prolongement d’un laboratoire de recherches amorcé en 2017. Elle est déjà active depuis le début de 2020, mais ce n’est que le 5 novembre, en raison de la COVID-19, qu’elle a été dévoilée publiquement. Ses objectifs, aussi multiples qu’ambitieux, pourraient se résumer à documenter les savoirs féminins autochtones dans différentes régions du monde et renforcer la participation des femmes autochtones à la gouvernance, annihilée par le colonialisme.

« Les femmes avaient un rôle complémentaire, de dire Suzy Basile. Elles n’étaient pas subordonnées aux hommes. […] La colonisation a imposé un modèle. On a compris qu’il fallait mater les femmes autochtones. Ça a créé de gros problèmes. […] Dans certaines nations, les hommes aussi ont intégré cette façon de traiter les femmes. »
Mme Basile, qui possède une maitrise en anthropologie, rappelle que chez certaines sociétés matriarcales comme les Hurons-Wendat et les Iroquoiens, les femmes avaient un rôle décisionnel très important, notamment pour la guerre et l’approvisionnement en nourriture. Chez les peuples algonquiens (Cris, Attikameks, etc.), elles formaient un comité qui s’occupait, entre autres, du placement des enfants au décès d’un parent, de la migration vers des sites d’été ou d’hiver.

Pour Stella Bearskin, les femmes autochtones ont depuis regagné une part de pouvoir, même si rien n’est acquis.
« Nous nous battons encore pour avoir une voix à tous les niveaux, observe-t-elle. Mais nous avons dernièrement rencontré le ministre des Affaires autochtones [Ian Lafrenière] et la ministre du Conseil du statut de la femme [Sonia Lebel], qui nous ont demandé ce dont nous avons besoin, plutôt que le Québec nous dise quoi faire.
Les femmes luttent également pour être écoutées à l’intérieur de leurs propres collectivités », ajoute Mme Bearskin.

Le lien à l’environnement

Pour Mme Basile, le renforcement des capacités des femmes autochtones passe par l’étude de leur relation à l’environnement et aux changements climatiques.

Elle compte collaborer avec les femmes autochtones touchées par ces enjeux et les laisser s’exprimer à ce propos. « C’est une chose qui était rarissime si on recule d’une dizaine d’années, dit-elle. La voix des femmes sur les enjeux environnementaux dans les questions de gouvernance territoriale était très faible. C’est dû en partie à l’instauration de politiques pour les faire taire. La Loi sur les Indiens a fait en sorte que les femmes se sont vues effacées des sphères de décisions. »
« À l’heure où les Premières Nations sont aux premières loges des changements climatiques, de souligner la titulaire de la Chaire de recherche, les femmes ont des savoirs et des pratiques qu’elles ont peur de perdre, liées aux plantes, à la migration de certaines espèces. Il y a un risque de ne pouvoir transmettre ce savoir aux autres générations. »

L’accouchement ne saurait être oublié des investigations de la Chaire. « Après avoir été longtemps institutionnalisé, l’accouchement naturel refait progressivement sa niche, observe la docteure Basile. Les enfants sont très fiers d’être nés dans le bois, assure-t-elle. Le lien d’un enfant au territoire se perpétue. »

La Chaire compte dessiner une cartographie des cultures de l’accouchement au Canada et peut-être dans d’autres pays puisque le projet a une composante internationale.

Dans le même ordre idée, des recherches ont déjà débuté pour valider l’hypothèse de la stérilisation forcée de femmes autochtones au Québec, comme cela aurait été pratiquée ailleurs au Canada. Ce travail se fait notamment en collaboration avec l’AFEI.
La Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones bénéficie d’un budget de 500 000 $ pour cinq ans avec possibilité de renouvellement pour un autre quinquennat. Une bourse de 100 000 $ de la Fondation de l’UQAT permettra en outre à Mme Basile d’engager un étudiant-chercheur. Un des objectifs de la Chaire est de contribuer à la formation de chercheurs autochtones. Au Canada, moins de 10% des Autochtones ont un diplôme universitaire.

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