ÉCHANGE SUR LA SANTÉ MENTALE AVEC LAURENCE JALBERT

Présente dans le paysage musical québécois depuis une trentaine d’années, Laurence Jalbert est l’une des grandes voix de la chanson d’ici. Ayant vécu de profonds épisodes de détresse psychologique, ce fut naturel pour elle d’accepter l’invitation du Show du Zéphir, en édition virtuelle le 14 novembre prochain, au bénéfice de la sensibilisation pour une bonne santé mentale et la cause des personnes prises avec une problématique en santé mentale. Discussion avec cette survivante qui a gagné plusieurs combats.

Laurence, pour toi, qu’est-ce que la santé mentale?

C’est celle qu’on néglige le plus. Parce que ça ne se voit pas comme un bras cassé, parce que tu n’as pas un papier dans les mains te le prouvant comme un diagnostic de cancer, tu ne sais pas ce que tu as. J’ai le cancer de l’âme! Ça apparait où ça le cancer de l’âme? Quel examen, quelle radiographie te prouvent ça et te le démontrent concrètement? Ça ne se voit pas et c’est la honte. La honte, la difficulté, la lourdeur, parce que tu sais qu’il y a quelque chose qui se passe dans ta tête, mais tu ne le comprends pas. Parce qu’il y a l’importance de l’image d’être beau, d’être grand, d’être fort et, toi, tu nages à contrecourant avec ta honte d’être faible…

Je sais que tu as déjà souffert d’épisodes dépressifs, peux-tu m’en parler?

Pendant une longue période de ma vie, ma tête n’allait plus bien, plus bien du tout. Entre autres, parce que j’étais dans une relation toxique. Un classique! Évidemment, ces choses-là n’arrivent pas parce tout va bien. Ce qui était très difficile, c’est que je n’en parlais pas, à personne parce que, dans le milieu du showbizness comme dans bien d’autres, c’est tabou et, si tu dis que tu fais une dépression, les producteurs ne t’engageront plus. Au cœur de la tempête, c’est ce que tu crois du moins. Encore la honte, toujours la honte! Et tout en travaillant, en allant tout l’temps me cacher aux toilettes pour pleurer, suivi d’une retouche de maquillage pour revenir vers la gang, les gens me regardaient et me disaient : « Wow! T’as donc ben maigri. Wow! T’es donc ben belle… » Et moi j’avais envie de leur dire que tout ce que je voulais, c’était de mourir! Oui, j’ai maigri, mais c’est pour les mauvaises raisons. J’ai maigri parce que je ne mange plus, parce que manger ne m’intéresse plus, parce que je veux juste en finir… mais je n’étais pas capable de dire ça! Moi, la femme forte qui a passé à travers toutes sorte d’affaires, du cancer des ovaires à la bactérie mangeuse de chair en passant par un enfant mourant. J’suis passée à travers tout, mais quand le verre est trop plein, y déborde… et c’est là qu’il faut en être conscient, et essayer de faire sortir ce trop-plein-là avec l’aide des bonnes personnes. J’ai fini par en parler parce que, à un moment donné, j’ai réalisé qu’il faut faire le ménage dans notre vie. Parce que ce qui nous rend malade, c’est notre façon d’interpréter ce qu’on vit. C’est notre filtre à nous qui vit mal ce qu’on vit. Or, quand je suis sortie de ma coquille, j’ai compris que communiquer mon mal-être était la seule façon de retrouver l’espoir, de remonter la pente… et ça a vraiment marché. J’ai vu la lumière au bout du tunnel, j’ai réussi. Je suis une survivante et je suis ici pour en témoigner!

Selon toi, est-ce que les gens ont encore beaucoup de préjugés face à la santé mentale?

Tu sais, à une époque, les gens faisaient des dépressions et ils se faisaient traiter de fous. Malheureusement, j’ai l’impression qu’on est encore dans cette interprétation-là quand on parle de santé mentale. Les tabous sont encore tellement présents, trop présents. Et on dirait que, tant que tu n’es pas passé par ces difficultés ou été témoin de gens proches de toi qui passent par là, tu n’es pas sensibilisé, tu as tendance à être dans le jugement. Moi-même, avant de le vivre, je connaissais des gens autour de moi qui étaient souvent dans des états de détresse et je me disais que : « Ben voyons, à un moment donné, faut que ça passe, faut arrêter de trainer son désespoir… » Mais quand tu es dedans, tu vois juste du noir. Pourtant, il est important que les gens autour, et toute la société ultimement, comprennent ce que c’est la détresse mentale pour que les préjugés disparaissent et laissent place à l’ouverture et l’acceptation de la vulnérabilité.

Crois-tu qu’une personne en difficulté se doit d’aller chercher de l’aide?

Oui, absolument! Pas pour lui donner des réponses concrètes à ses questions, mais pour aider la personne à trouver ses propres réponses. Parce que, quand on ressasse des affaires dans notre tête, tout seul dans notre coin, on ressort tout l’temps les mêmes affaires. L’écho de quelqu’un d’autre dont c’est le métier de t’aider va te faire rebondir sur une autre façon de faire rouler ton hamster dans ta tête, un autre angle de vision. Il va te faire changer de direction et, là, tu vas avoir un regard nouveau sur ce que tu vis, et tu vas pouvoir essayer d’autres pistes de solution. Il y a une phrase célèbre d’Albert Einstein qui dit : « Faire et refaire toujours la même chose et s’attendre à un résultat différent, c’est ça la folie. » Quand tu as l’aide de quelqu’un tout d’un coup ton hamster se met à prendre une direction différente, puis une autre direction, etc. Et là arrive un nouvel éclairage! Tu sais, « à marcher toujours dos à la lumière, t’as jamais vu que l’ombre de toi-même », ben c’est ça! Quelqu’un va t’aider à tourner ton angle, juste un petit peu, et tu vas déjà avoir un autre angle, un autre éclairage, une autre image. Et c’est pour ça que c’est important!

Est-ce que selon toi c’est facile d’aller chercher de l’aide?

Oh mon Dieu non! Parce qu’il faut passer par-dessus la honte! Moi je me rappelle, lorsque j’étais rendue dans un état lamentable, combien j’aurais aimé, combien j’aurais rêvé que quelqu’un me prenne par la main, qu’il m’aide à me relever du plancher sur lequel j’étais échouée, et qu’il m’amène directement à la bonne place. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche. Oui, il y a encore des efforts à faire à partir du moment où on dit : « J’ai besoin d’aide. » Ça, c’est le premier pas. À partir de là, tu commences tes démarches et tu vas voir, l’espoir va s’installer. Tranquillement, comme la petite « craque » de lumière au travers du rideau, mais il va s’installer. La détresse, le déséquilibre, c’est un passage que tu peux traverser, et c’est un passage que tu dois traverser. Ça ne sera pas facile mais, l’important, c’est que tu vives…

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