Eeyou Istchee Baie-James – Les eaux souterraines inconnues

Éric Rosa, du GRES et le laboratoire mobile.

Le Nord-du-Québec est la seule région de la province dont les eaux souterraines n’ont pas été cartographiées, à part une infime parcelle. À l’heure des travaux miniers et routiers pressentis, ce travail de recherche est plus que jamais nécessaire.

À Eastmain, une étude a été complétée sur environ 14 000 kilomètres carrés de territoire, identifiant la superficie et la qualité des eaux souterraines, servant à l’évaluation des liens entre les différents aquifères régionaux et le réseau hydrographique, documentant les impacts potentiels des activités anthropiques. Le rapport final devrait être rendu public cet automne.

À Villebois, Valcanton et Chisasibi, une recherche a été effectuée sur les données préexistantes. À Chisasibi, la recherche se terminera en janvier 2023. Aucun financement qui permettrait de faire une étude exhaustive comme à Eastmain n’est pour l’instant assuré.

Une source d’eau potable

Les projets d’acquisition de connaissance des eaux souterraines (PACES), qui ont été effectués dans le reste du Québec, sont pourtant d’une importance capitale. Au niveau provincial, 30 % de la population puise son eau potable dans les eaux souterraines; les chiffres montent jusqu’à 70 % en Abitibi-Témiscamingue, révèle Éric Rosa, professeur-chercheur du Groupe de recherche sur l’eau souterraine (GRES) de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, qui a déjà complété une cartographie de cette région. Or, c’est une ressource difficile à protéger puisqu’elle est invisible à partir de la surface. « C’est facile de vouloir protéger l’eau de surface parce que vous la voyez avec vos yeux, explique le docteur Rosa. S’il y a des impacts, vous allez les constater rapidement. Sur l’eau souterraine, vous ne les verrez pas. » Cette dernière joue également un rôle clé dans le développement de certains écosystèmes.

Pour le chercheur, il est d’autant plus impératif de cartographier l’eau souterraine puisqu’elle se contamine plus durablement qu’une eau de surface et que son assainissement est également plus long que celle-ci, se mesurant en termes de vies humaines.

Pourquoi pas ici?

Les raisons pour lesquelles le Nord-du-Québec n’a pas encore été cartographié sont difficiles à cerner. Au sud du 49e parallèle, les PACES ont été faits sur des territoires municipalisés et, souligne le docteur Rosa, ont été essentiellement financés par le ministère de l’Environnement et de la lutte contre les changements climatiques (MELCC), avec le support des Municipalités régionales de comté et de partenaires régionaux.

Dans le Nord-du-Québec, où la densité démographique est faible, avec la Convention de la Baie-James, le rôle des acteurs municipaux est peut-être différent.

« Au nord du 49e, analyse Éric Rosa, il faudrait changer cette philosophie, qu’on ne parle plus de territoire municipalisé mais de territoire tout simplement ». Il souligne que dans Eeyou Istchee Baie-James, avec l’exploitation des ressources naturelles, les enjeux de protection des eaux souterraines diffèrent d’avec les basses-terres du Saint-Laurent ou les Appalaches.

Volonté politique

À Matagami, il y a quelques années, rappelle Éric Rosa, un projet avait été rédigé pour investiguer les eaux souterraines mais il n’a jamais vu le jour.
La mairesse de Chibougamau et présidente du Gouvernement régional Eeyou Istchee Baie-James, Manon Cyr, affirme qu’aucune démarche n’est en cours dans ces juridictions pour la réalisation d’un PACES.
Ce qui a fait débloquer le dossier à Eastmain et dans une certaine mesure à Chisasibi, c’est une résolution de la nation crie envoyée au MELCC et soulignant l’importance d’étudier l’eau souterraine, souligne Éric Rosa.

« Si ce genre de volonté politique était exprimée très clairement par des municipalités comme Matagami ou Chibougamau, ça donnerait des résultats, estime-t-il. Les démarches doivent venir des élus, des politiques. […] À mon avis, il y a une certaine volonté de le faire. Je pense que c’est juste une question de temps avant que ça se fasse. Pour nous, ce serait un territoire fascinant à étudier. »
Le GRES fait des recherches de financement à ce propos.

Il a fallu six ans au groupe pour faire l’inventaire de 20 000 kilomètres carrés en Abitibi-Témiscamingue. Éric Rosa estime qu’il faudrait de 15 à 20 ans pour couvrir la totalité d’Eeyou Istchee Baies-James. Mais il considère qu’avant de se lancer dans un tel projet, il faudrait consulter les élus et la population sur d’éventuelles limites à fixer, des zones à prioriser.

Aires protégées

En décembre 2020, dans le cadre de la Grande Alliance, 23 réserves de territoires aux fins d’aire protégée étaient créées dans Eeyou Istchee Baie-James. Étant donné le lien entre le développement des écosystèmes dans les lieux humides et les eaux souterraines, le GRES avance que la protection doit être étendue à ces dernières.

« Il y a des démarches pour agrandir les aires protégées […], souligne M. Rosa. On voudrait saisir cette opportunité […] pour que les réservoirs d’eau souterraine soient considérés dans la définition des aires protégées. On peut le faire pour les générations et les écosystèmes actuels et on peut le faire pour les générations futures. S’il y a des réserves d’eau souterraine de grande qualité et de grand volume sur le territoire d’Eeyou Istchee Baie-James, ce serait sage de les protéger même si elles ne sont pas utilisées actuellement. »

Laboratoire mobile

En Abitibi, le GRES utilisait les puits pour accéder à l’eau souterraine et l’échantillonner. Comme ils sont beaucoup plus rares à Eastmain, les chercheurs ont développé de nouvelles approches, par exemple l’utilisation d’images satellites. De nouveaux puits d’observation de l’eau souterraine permettront le suivi à long terme de la ressource en eau à différents points du territoire. Les techniques permettent de couvrir un vaste territoire, mais sont moins précises, concède Éric Rosa.

À Eastmain et Waskaganish, le GRES s’est servi d’un laboratoire mobile d’hydrologie spécifique pour le Nord, mis en place grâce à une subvention de 350 000 $ de la Société du Plan Nord. Une remorque est équipée d’un radar, de pompes pour prélever des échantillons d’eaux souterraines, d’appareils pour mesurer les débits d’eau, prendre des mesures physicochimiques, etc.
« Ça nous permet de faire de la collecte de données très efficacement sur le territoire » affirme le docteur Rosa… ce qui n’a pas empêché des crevaisons sur la route du Nord, ajoute-t-il avec humour.

Il a bon espoir que le labo mobile servira à poursuivre les recherches à Chisasibi l’été prochain.

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