Gérer les feux

Comme méthode proactive pour limiter les feux de forêt, il est suggéré d'éviter des peuplements uniquement conifériens et donc de mêler résineux et feuillus.

Avec les changements d’usage de la terre, les changements climatiques, les experts anticipent que le nombre de feux de forêt pourrait croitre de 50 % d’ici la fin du siècle.

C’est une des statistiques inquiétantes citées dans un récent rapport de l’Organisation des Nations-Unies, intitulé Spreading like wildfire: the rising threat of extraordinary landscape fires.

Plus de 50 experts d’institutions de recherche, d’agences gouvernementales et d’organisations internationales de la planète ont contribué à ce rapport pour le moins inquiétant. « Les feux de forêt brulent plus fort et plus longtemps dans les places où ils ont toujours eu lieu, est-il écrit, et ils flambent aussi dans des endroits inattendus, dans des tourbières et sur le pergélisol qui dégèle. […] Même l’Arctique ne sera pas épargné. »
Dans les grandes lignes, les auteurs du rapport préconisent trois recommandations : une coordination transnationale plus forte, un partage des meilleures pratiques et une évaluation des budgets consacrés aux feux de forêt.

Partage de compétences

La Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU), met déjà en pratique quelques-unes de ces recommandations, selon son agente à la prévention et aux communications, Josée Poitras.
« Le rapport confirme qu’on ne fait pas fausse route en axant sur la prévention pour tous les utilisateurs de la forêt, dit-elle. Pour ce qui est des meilleures pratiques, on fait beaucoup d’échanges; on envoie des pompiers en Australie, aux États-Unis, dans l’Ouest canadien.
On a appris beaucoup. Nous sommes toujours à l’affut du partage de compétences et de bonnes pratiques. »

SOPFEU et le gouvernement du Québec sont membres du Centre interservices des feux de forêt du Canada, qui regroupe les provinces, les territoires et Parcs Canada, et sert de plateforme d’échanges pour la science, les opérations, la formation, etc.

Prévention, planification et réhabilitation

Selon le rapport de l’ONU, la plupart des pays n’ont aucune évaluation de leur budget de lutte contre les feux de forêt et en dépensent plus de la moitié dans l’extinction, au détriment de la prévention, de la planification et de la réhabilitation. « Pour réduire les couts démesurés des dommages et des pertes, qui excèdent de beaucoup toutes les dépenses en gestion des feux de forêt, nous devons rééquilibrer nos efforts. »

« C’est une problématique en Californie, par exemple », observe le chercheur et enseignant Yves Bergeron, de l’Institut de recherche sur les forêts de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. « Tout le budget sert à éteindre les feux, explique-t-il. Il n’y en a pas beaucoup pour faire des traitements sylvicoles, pour faire que les forêts soient moins susceptibles de bruler. […] C’est un débat qu’on a moins au Canada bien qu’il y ait des plans qui ont été présentés par le Service canadien des forêts pour essayer d’avoir des forêts plus mixtes, pour essayer de diminuer le passage des feux. »

Stratégie d’adaptation

Selon un porte-parole du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec (MFFP), celui-ci élabore présentement une stratégie d’adaptation et de gestion des forêts aux changements climatiques. Cette stratégie vise, entre autres, à améliorer la prise de décisions afin de répartir les budgets de manière optimale en matière de feux de forêt et à améliorer le modèle québécois en analysant les pratiques des autres provinces et territoires.

Un groupe de travail sur la gestion des feux de forêt du Conseil canadien des ministres des Forêts a déposé un plan d’action 2021-2026 dont l’objectif est que, d’ici 2030, les infrastructures de tout le pays soient plus résilientes à la menace et aux répercussions des feux de forêt.

Un phénomène moins marqué au Québec

Le Québec est épargné pour l’instant par l’augmentation des feux de forêt, mais ce privilège présenté comme temporaire ne devrait pas être éternel.
« Le réchauffement ne se fait pas de façon égale partout dans le monde […] rappelle Mme Poitras. Dans l’Ouest canadien, il y a des grands feux presque à chaque saison, mais on ne le voit pas encore au Québec, parce que la configuration n’est pas pareille et que c’est beaucoup plus humide. »
Reste que, avant même que les effets du réchauffement climatique ne se fassent sentir, la région du Nord-du-Québec est déjà vulnérable.

Selon un rapport d’Ouranos présenté en novembre 2017 à Environnement et Changement climatique au Comité consultatif pour l’environnement de la Baie-James, le Nord-du-Québec a une des plus hautes fréquences de feux et de proportion de terre brulée en raison des feux de forêt en Amérique du Nord.
Selon un des auteurs cités, 64 % de la région d’Eeyou Istchee Baie-James est considérée comme à très haut risque d’incendie.

Un cycle de 50-75 ans

« La région de la Baie-James est celle au Québec où il y a le plus de feux, confirme Yves Bergeron. Le cycle de feu actuel est à peu près 50-75 ans. Ça veut dire que tout le territoire brulerait au moins une fois en 75 ans. Le cycle est très court par rapport au restant du Québec; […] en Abitibi-Témiscaminque, le cycle est entre 500 et 600 ans. »

Le chercheur, aussi membre du Centre d’étude la forêt, souligne que, malgré tout, la fréquence était encore beaucoup plus élevée dans les siècles précédents. « Depuis 1850, les feux ont diminué partout au Québec », dit M. Bergeron.
À court terme, selon lui, dans l’Est de l’Amérique du Nord, l’augmentation de la température coïncidera avec des précipitations plus élevées, ce qui atténuera les risques d’incendie. « Mais si on se projette en 2050 ou en 2100, ce n’est plus possible que les précipitations compensent », note M. Bergeron.

Le rôle des espèces

L’industrie forestière québécoise a une prédilection pour les résineux; or, ils sont beaucoup plus inflammables que les feuillus.
Comme méthode proactive pour limiter les feux de forêt, le chercheur suggère d’éviter des peuplements uniquement conifériens et donc de mêler résineux et feuillus. « C’est difficile de les convaincre de changer leur fusil d’épaule et de modifier leur façon de faire », concède-t-il.
Il propose également de laisser davantage de conifères matures lors des coupes, puisque ceux-ci sont des semenciers et que les cônes qu’ils portent sont protégés des feux par leur enrobage de cire et qu’ils peuvent donc repeupler la forêt, faisant ainsi l’économie d’un reboisement couteux.

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