Les changements climatiques absents des plans d’aménagement forestier

Spécialiste de la planification écologique du territoire et ancien résident du Nord-du-Québec, Yvan Croteau met en relief d'importantes lacunes dans les plans d'aménagement forestier.

Les plans d’aménagement forestier intégré tactique (PAFIT) 2023-2028 ne comportent ni stratégie par rapport aux changements climatiques ni méthodologie pour évaluer les critères d’aménagement durable des forêts.

Ce sont les reproches qu’a fait au ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) un spécialiste de la planification écologique du territoire et ancien résident du Nord-du-Québec, Yvan Croteau, lors d’une session d’information sur les PAFIT, le 11 janvier dernier.

Les PAFIT présentent des objectifs d’aménagement des forêts : analyses de rentabilité économique, cibles de replantation, budget sylvicole, enjeux, etc.
La population a jusqu’au 23 février 2023 pour commenter les PAFIT 2023-2028 du Nord-du-Québec pour près d’une vingtaine d’unités d’aménagement.
Le nouveau PAFIT est divisé en quatre modules : contexte légal et administratif, territoire et ses occupantes, analyse des enjeux et, enfin, le PAFIT lui-même. Nouveauté : seul ce dernier est en consultation.

Par rapport au quinquennat précédent, les secteurs paludifiés et les aires protégées ont été retirées de la possibilité forestière, les feux de forêt pris en considération.
« On examine les commentaires avec attention et on réfléchit à la solution la plus appropriée. Ça ne signifie pas nécessairement qu’on va intégrer le commentaire, spécifie Paul Maxime, du MRNF, à propos de la consultation. Au besoin, le ministère rencontre les intervenants pour des précisions. »

La version finale des PAFIT sera publiée le 31 mars 2023 et le rapport de suivi de la consultation publique, d’ici la fin de juin.

Des reports perpétuels

Yvan Croteau considère vraiment déplorable l’absence de stratégie face aux changements climatiques dans les PAFIT. « On parle des changements climatiques depuis les consultations génériques de 1992 », rappelle M. Croteau qui, par ailleurs, déplore l’absence de démarches pour vulgariser les PAFIT auprès des citoyens. « Depuis qu’il y a des forestiers en chef, chacun d’entre eux, dans son rapport quinquennal a parlé de l’importance et de l’urgence d’en tenir compte. Dans les deux derniers rapports, on disait qu’on en tiendrait compte dans le prochain. C’est toujours reporté. »

Effectivement, le 11 janvier, M. Maxime a expliqué que la stratégie québécoise sur les changements climatiques étant actuellement en cours d’élaboration, on ne pouvait l’intégrer au secteur forestier.
« Ils n’ont pas besoin d’attendre le plan stratégique national; ils ont assez d’éléments scientifiques pour être capable, d’un point de vue professionnel, d’en tenir compte quand il y a un risque pour le bien public », s’objecte Yvan Croteau.

Étant un des très rares citoyens à participer à la réunion du 11 janvier, il rappelle que le Québec a 30 ans de retard dans la prise en compte d’un enjeu qui bouleverse le monde et a des impacts encore plus grands dans le Nord.

Des risques pour l’industrie forestière

En vertu de l’analyse d’Yvan Croteau, l’industrie forestière profiterait d’une démarche face aux changements climatiques. « Ça ne veut pas dire couper moins de bois, ça veut dire des mécanismes d’adaptation », avance-t-il. « S’il y a un méga feu dans une zone d’approvisionnement mature par exemple, l’industrie se retrouve devant du bois déclassé, de moins bonne qualité, elle ne saura pas où aller chercher le bois les autres années. Il y a un risque sur les investissements, sur la prévisibilité et la stabilité. Il faut des scénarios d’aménagement suffisamment robustes pour permettre à l’industrie d’anticiper les problèmes et sur les changements climatiques. Actuellement, c’est zéro. »

Absence de méthodologie

Yvan Croteau critique également le MRNF pour ne pas avoir de méthodologie pour vérifier dans quelle mesure les plans d’aménagement forestier répondent aux critères d’aménagement durables des forêts pourtant énoncés dans une loi : conservation de la diversité biologique, des sols et de l’eau, maintien et amélioration de l’état et de la productivité des écosystèmes forestiers, maintien des avantages socioéconomiques que les forêts procurent à la société, etc. « Il doit y avoir une méthodologie pour chacun des critères, souligne le spécialiste de la planification écologique des territoires. Il y en a une pour la foresterie mais pas pour les autres objectifs. […] On ne mesure jamais si on s’approche d’un résultat. »

M. Croteau donne comme exemple l’absence d’analyse gouvernementale sur les impacts des chemins forestiers sur les frayères, l’envasement, l’érosion.
Il note en outre le manque de mesures précises et de suivi sur l’évolution des grands massifs forestiers matures. « En contrepartie, le ministère encourage généreusement l’approche de chantiers agglomérés qui viennent rajeunir la forêt sur d’immenses territoires. Le résultat est qu’on coupe actuellement des forêts dont les arbres ont à peine 12 centimètres de diamètre. Les deux, grands massifs jeunes et grands massifs matures, sont importants. »

Yvan Croteau concède qu’il y a un cahier de charges de plus de 400 pages, bien fait, sur la protection des sols et de l’eau, mais qu’aucune méthodologie derrière ne l’accompagne pour évaluer l’atteinte des objectifs.

Potentiel touristique

Enfin, Yvan Croteau évalue que le Québec est à l’étape de diversifier l’offre des services liée à l’aménagement des forêts. « Le secteur forestier, dit-il, génère seulement 2 % du produit intérieur brut du Québec […]. Il y a des calculs à faire en termes des retombées pour la société. »
Il fait référence au tourisme, aux produits forestiers non ligneux, à la bourse de carbone.

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