Les Rangers, de long en large

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'étude du Nord canadien, P. Whitney Lackenbauer a consacré huit ouvrages à la géopolitique de l'Arctique. (Photo : Université de Trent)

Alors que les Rangers tentent d’accroitre leur présence dans Eeyou Istchee, un universitaire spécialisé en affaires circumpolaires, P. Whitney Lackenbauer, leur consacre un recueil de textes.

Les Rangers constituent un corps très particulier de l’armée. Leur fonction n’est pas de combattre, mais d’être les yeux et les oreilles de l’armée dans leur propre communauté du Nord, où ils sont exclusivement situés. Autrement, ils se rendent utiles lors de mission de recherche et de sauvetage, de désastres et même pour lutter contre la COVID-19.

Aujourd’hui, on retrouve 5 000 Rangers vivant dans plus de 200 communautés. 60 % d’entre eux seraient autochtones, ce qui excède de beaucoup leur représentation dans la force régulière.

Un spécialiste

L’auteur de The Canadian Armed Forces’ Eyes, Ears, and Voice in Remote Regions, P. Whitney Lackenbauer, possède une connaissance approfondie de son sujet. Il a analysé, observé et interviewé les Rangers pendant plus de 25 ans. De surcroit, il a participé à diverses missions, notamment, une de 34 jours et 3 400 kilomètres en 2009 avec le 4e Groupe de patrouilles de Rangers canadiens. Il a de plus le statut de lieutenant-colonel honoraire au sein ce corps d’armée.

M. Lackenbauer avait déjà écrit une volumineuse histoire des Rangers, qui se voulait un compte-rendu de leur évolution au fil du temps et une présentation de leurs particularités face aux autres groupes militaires.
Son nouvel ouvrage est un recueil d’articles publiés entre 2006 et 2021. « Ils fournissent une compréhension de ce que sont actuellement les Rangers, explique l’historien, et abordent les dangers de les transformer abusivement. Les militariser trop leur ferait perdre leurs liens avec la communauté, mais il ne faut pas non plus leur enlever leur caractère militaire. Cet équilibre leur donne beaucoup de crédibilité et dans la communauté et dans l’armée. »

Une vision positive

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’étude du Nord canadien, M. Lackenbauer est bien au fait des côtés sombres de l’histoire du Canada, d’un pays qui maltraite un peuple et lui demande de défendre sa souveraineté, qui exerce des relocalisations forcées de familles inuites dans les années 50, etc.

« Les effets de la violence coloniale sont encore avec nous, concède-t-il. […] Dans des communautés comme Resolute Bay et Grise Fjord, où il y a beaucoup de souvenirs liés à la relocalisation, il y a des gens qui servent fièrement dans les Rangers. Ça montre comment les Inuits sont généreux […] et comment on peut servir le pays, malgré les blessures et la frustration. »
Pour l’auteur, on peut tirer des leçons de ce passé, ne serait-ce qu’apprendre à mieux faire.

Reconnaissance

Le plus récent ouvrage de P. Whitney Lackenbauer montre des traces du racisme auquel le corps des Rangers a dû faire face depuis sa création en 1947. Il cite, entre autres, le cas d’un officier qui se prononçait contre la formation d’une patrouille dans le Nord de l’Ontario, en raison du trop grand nombre d’Autochtones, « indolents, non fiables et paresseux ». L’auteur ne croit pas cependant que l’ostracisme et la ségrégation n’aient jamais été préoccupants.

« Dans mes 25 années de conversation avec les Rangers, ça n’a pas été un thème dominant, affirme M. Lackenbauer. […] Même dans les années 70, les soldats qui ont travaillé avec les Rangers ont toujours reconnu leur valeur, particulièrement celle des Autochtones, pour leurs aptitudes et leur connaissance du terrain. Plus les soldats du Sud ont pu s’entrainer avec les Rangers, plus cette reconnaissance a augmenté. Aujourd’hui, les Rangers sont une institution. »

Pour Lackenbauer, les Rangers sont une réconciliation avant la lettre, une illustration des accomplissements qui sont possibles avec une relation basée sur le respect des différentes façons de vivre et l’appréciation profonde des savoirs autochtones.

La souveraineté aujourd’hui

Alors que les Rangers ont pris leur envol avec la Guerre froide et la souveraineté dans l’Arctique, une thématique très présente dans The Canadian Armed Forces’ Eyes, Ears, and Voice in Remote Regions, c’est aujourd’hui la puissante Chine, avec sa stratégie arctique, qui inquiète.
Les Rangers peuvent avoir un rôle à jouer dans l’observation de cette présence accrue. « Qui peut mieux savoir qu’eux ce qui est inhabituel? questionne M. Lackenbauer. Évidemment, les Rangers ne seront pas la réponse à tous nos besoins en défense. Mais il y a des gens qui exagèrent […] les risques d’une attaque militaire sur le Nord. Je vois plutôt les risques sous d’autres formes de compétition et d’influence. Mais ils ont besoin de voir que nous sommes sérieux à propos de la défense du Nord, et que nous sommes préparés. »

En français

En avril sera publié le premier livre en français de P. Whitney Lackenbauer: Les Vigiles, une histoire commémorative du 2e groupe de patrouilles des Rangers canadiens, qui est celui du Québec. L’auteur souhaite que cela ouvre la porte à la traduction de ses livres précédents.
The Canadian Armed Forces’ Eyes, Ears, and Voice in Remote Regions est gratuit en format pdf.

The Canadian Armed Forces’ Eyes, Ears, and Voice in Remote Regions
P. Whitney Lackenbauer
Université Trent, 2022, 345 pages.

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