Mémoires de pensionnats

C’est le Conseil régional cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James qui a édité le recueil de récits de survivants des pensionnats. « C’est un morceau d’histoire que nos enfants et nos petits-enfants doivent connaitre et qui ne doit jamais être oublié », a souhaité son président, Bertie Wapachee.

E nâtamukw miyeyimuwin, un recueil d’une vingtaine de récits de survivants d’Eeyou Istchee des pensionnats indiens, a été lancé le 28 mars à l’Institut culturel cri d’Oujé-Bougoumou. E nâtamukw miyeyimuwin signifie, pour résumer, se diriger vers un endroit de paix et de calme. Raconter ses souvenirs pour les protagonistes ou les témoins des récits narrés ici est une manière de cheminer même s’il n’est pas garanti d’arriver au lieu désiré.

Ruth DyckFehderau, écrivaine et professeure adjointe à l’Université de l’Alberta, a recueilli les témoignages des ex-pensionnaires et leur a donné une forme écrite. Son supérieur, Paul Linton, voulait que des traces soient conservées de ces récits méconnus. « Ce sont des histoires très dures, souvent brutales », dit Mme DyckFehderau.

Un protocole rigoureux

Un précédent livre, axé sur la vie de Cris souffrant du diabète a servi à développer le modèle de relation avec les personnes qui font l’objet d’entrevues. Incidemment, l’écrivaine souligne que plusieurs maladies chroniques chez les Autochtones sont reliées à leur passage dans les pensionnats. Le protocole pour collecter et transmettre les témoignages est très rigoureux. « Nous offrions toujours un traducteur et du support émotionnel, raconte Ruth DyckFehderau. Ils [les anciens élèves] ne voulaient se confier qu’à une seule personne. J’écoutais les histoires, parfois ça prenait une heure, […] parfois plusieurs jours. Je retournais aussi souvent que nécessaire. […] Ensuite, je regardais les ébauches du texte avec le conteur. Il changeait ce qu’il voulait. Quelquefois, il disait : « Je ne veux pas cette histoire dans ce livre, utilise telle autre histoire. » Le conteur avait le plein contrôle. »

Destruction des enregistrements

Les enregistrements et les notes d’entrevues ont été détruites. « La seule histoire qui existe est celle que le conteur a approuvée », précise Mme DyckFehderau. Plusieurs des conteurs ont utilisé un pseudonyme. Le livre, en perte apparente de vitesse face aux autres médiums, constitue-t-il la meilleure solution pour transmettre ces récits? « Amazon sort 6 000 nouveaux livres par jour, répond l’auteure, qui affirme par ailleurs qu’elle aurait facilement pu écrire un roman de 400 pages avec chacune des histoires. Il y a encore des lecteurs. Ces récits sont aussi transmis de façon plus traditionnelle à leurs enfants et à leurs petits-enfants, des films sont faits. Ce projet est une des façons dont le peuple cri se rappelle. » « Ces histoires ont longtemps été cachées. Les gens les ont contées à un grand cout personnel. J’ai une immense gratitude envers les conteurs pour m’avoir fait confiance. »

Avoir faim

Le récit de George Shecapio est pour l’essentiel basé sur la faim qui le tenaillait constamment au pensionnat indien de La Tuque, il y a plus de 55 ans. Au point qu’il mangeait ses fèves au lard une à une, au point de voler des sandwichs une nuit, au point de se jurer de manger à sa faim lorsqu’il serait grand.
Le récit de M. Shecapio se termine par une anecdote où, isolé dans la nature par une nuit glaciale, la connaissance de la nature mais aussi son imagination l’aident à survivre. « Dans les pensionnats, il n’y avait jamais assez de nourriture, se rappelle-t-il encore aujourd’hui. J’ai voulu partager cette histoire parce que les gens demandent […] ce qui est arrivé là-bas. Il faut leur révéler ce qui arrivait après les cours, ce qui arrivait après souper, la nuit. Des choses arrivaient. Ça a été pire pour certains. J’ai eu ma part. Je pense […] que j’étais assez futé pour faire attention aux règles. Aussi longtemps que vous les suiviez, vous étiez correct. »

Un incident inoubliable

George Shecapio confie qu’il y a beaucoup de choses qu’il n’a racontées qu’à des gens proches, en qui il a confiance. Pas nécessairement des choses qui lui sont arrivées, mais dont il a été témoin.
« Il y a un incident que je ne pourrai jamais oublier qui est arrivé à un ami. Nous n’en avons jamais parlé. J’ai essayé de le mentionner une fois et il m’a dit qu’il ne voulait pas en parler. »
Partager son histoire n’a pas été souffrant parce que, dit-il, il avait déjà trouvé une façon de se guérir, de « prendre soin de moi, de mes blessures, de mes souffrances ».

Au moment de l’entrevue, il n’avait pas encore lu le livre de manière exhaustive. « J’en ai lu des parties. J’ai lu mon histoire, pour vérifier si c’était conforme. C’était exactement ce que j’ai dit et j’ai aimé la façon dont c’est écrit. Ça fait ressortir les éléments qu’il faut pour que les gens comprennent le mieux possible. » Un des récits du livre, dit George Shecapio, a été conté par un des cousins, qui a une expérience complètement différente, parce qu’il a dit qu’il a été mis à la porte de l’école.

Premier de quatre tomes

E nâtamukw miyeyimuwin, publié en anglais et illustré par des enfants cris, bénéficiera d’une distribution à travers le Canada.
Il s’agit du premier tome d’une tétralogie; les témoignages des deux opus suivants ont déjà été captés, précise le maitre d’oeuvre du projet, Paul Linton, directeur adjoint à la santé publique au Conseil régional cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James (CRSSSBJ),
Le lancement a réuni une centaine de personnes à l’Institut culturel cri Aanischaaukamikw
Le président du CRSSSBJ, Bertie Wapachee, a rappelé la pérennité des livres, leur capacité à passer à travers le temps. « C’est un morceau d’histoire que nos enfants et nos petits-enfants doivent connaitre et qui ne doit jamais être oublié », a-t-il ajouté.

E nâtamukw miyeyimuwin
Residential school recoveries stories of the James Bay Cree volume 1
Écrit par Ruth DyckFehderau
Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James,
2023, 316 pages

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