MoCreebec : la nation oubliée

« On veut que nos gens soient reconnus où qu'ils soient », souhaite le chef de la communauté de MoCreebec, Allan Jolly. « On ne veut pas que la frontière nous arrête. »

En Ontario, un groupe de descendants des Cris d’Eeyou Istchee tente, depuis 40 ans, d’accéder aux avantages de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ).

Nommée MoCreebec, cette communauté, selon son chef, Allan Jolly, compte environ 800 membres incluant les enfants. La première syllabe de son nom, la communauté la doit à Moose Factory, dans la partie occidentale et ontarienne de la Baie-James, où elle s’est progressivement installée depuis plus de 70 ans.

Les politiques fédérales ont joué un rôle prépondérant dans cette relocalisation explique le chef Jolly, né à Waskaganish. Beaucoup d’enfants cris du Québec étaient envoyés à Moose Factory parce qu’ils étaient protestants et qu’il y avait là un pensionnat indien de même religion, le Bishop Horden Memorial School.« C’était juste à 40 milles de Waskaganish, explique Allan Jolly. Des parents allaient vivre dans une tente près du pensionnat. Je ne pense pas qu’ils voulaient vivre là de manière permanente mais ça a fini par être permanent pour beaucoup de familles. Elles vivaient dans des conditions misérables. » La construction d’un hôpital fédéral pour les Autochtones et les Inuits en 1950 et un programme de trappe du gouvernement ontarien ont continué à attirer les familles cries du Québec.

Une communauté sans statut

Communauté informelle, la Première Nation de MoCreebec ne bénéficie ni du Traité 9, qui couvre le nord-est de l’Ontario, ni de la Convention de la Baie-James. Elle n’a aucun statut formel de communauté et ne possède pas de terres. « Nous sommes perçus comme des outsiders, explique le chef Jolly. Certaines des Premières Nations ici nous voient comme des étrangers. Les Cris ontariens font des réclamations territoriales et nous sommes identifiés comme un des problèmes qui doit être résolu. »

La communauté MoCreebec est toutefois affiliée à différentes organisations politiques autochtones en Ontario et possède le statut d’observateur au Grand Conseil des Cris.

Trouver une terre

Le groupe a commencé à s’organiser dans les années 80, alors qu’il vivait encore dans des tentes. Au fil des années, il a mis l’accent sur le développement économique et le logement. Il a même sa propre compagnie de câble et d’Internet.
« Ce qu’on a aujourd’hui, c’est ce qu’on a bâti, ce qu’on a fait pour nous-mêmes », résume Allan Jolly.

Mais MoCreebec veut plus. La communauté veut une existence légale et davantage de ressources, « Notre plus grand objectif, précise Allan Jolly, est de former un gouvernement avec statut. La première chose à faire est de choisir le lieu où on veut vivre et construire notre communauté. C’est ce qu’on doit faire dans les prochains mois. »
MoCreebec devra pour cela conclure un arrangement avec les Cris de Moose Factory Cree, peu heureux de la situation.

Une entente complémentaire à la CBJNQ

Ce choix d’une terre est la condition préalable à des négociations qui permettraient éventuellement à MoCreebec d’avoir accès aux avantages dont bénéficient les Cris d’Eeyou Istchee en termes de santé, d’éducation, de logement, etc.
« Initialement, précise le chef, on voulait que la CBJNQ soit étendue à l’Ontario. Aujourd’hui, on pense que l’avenue à choisir est une entente complémentaire à la CBJNQ, qui définirait des termes en lien avec la Convention. L’Ontario pourrait, d’une certaine façon, remplacer le Québec dans cette entente. »
Le directeur exécutif du gouvernement de la nation crie, Bill Namagoose, corrobore les propos de M. Jolly.
« Le Grand Conseil des Cris, en consultation avec la communauté MoCreebec, cherche à initier des discussions exploratoires avec le gouvernement du Canada, mais un tel processus n’est pas encore établi, écrit M. Namagoose. Ces discussions viseraient à explorer quelques éléments clés modelés sur la CBJNQ, mais distincts de ceux-ci. À une certaine étape, ces discussions pourraient aussi impliquer le gouvernement de l’Ontario, particulièrement lorsque viendra le temps de discuter d’un territoire et de droit de récolte. »

Exclus au départ

La communauté de MoCreebec n’avait pas tous les outils en main pour comprendre et s’impliquer dans la CBJNQ quand celle-ci se préparait dans les années 1970.
« Nous n’étions pas prêts, concède Allan Jolly. ¸[…] Le leadership cri avait peur que ça soit trop compliqué de nous impliquer parce qu’on était en Ontario et il y avait une urgence pour conclure l’entente. […] Mais le leadership a promis de nous faire rentrer dans l’entente plus tard. »
Au milieu des années 80, un comité fédéral a produit un rapport sur le cas de MoCreebec, sans que cela ne fasse concrètement avancer la cause de la communauté.
Dans les années 2000, MoCreebec a tenté infructueusement de régler le cas en Cour supérieure du Québec, poursuivant le Grand Conseil des Cris, les gouvernements du Québec et du Canada ainsi qu’Hydro-Québec. La communauté invoquait qu’elle n’avait pas été adéquatement consultée et que l’article 3.2.7, qui prive de ses droits une personne absente du territoire durant 10 ans, lui portait préjudice.

Une conjoncture favorable

Depuis près de 10 ans, le Grand Conseil des Cris, appuie financièrement MoCreebec, payant leurs communications, leurs frais légaux, etc.
Allan Jolly pense que toutes les pièces sont en place pour que leur démarche réussisse. « On aimerait que ça se règle d’ici deux ou trois ans », souhaite-t-il. On veut que nos gens soient reconnus, où qu’ils soient. On ne veut pas que la frontière nous arrête. »

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