Secrets d’amoureux… pour adultes avertis

Repas en famille chez Adrien Laberge à Châteauguay, 1950.

La famille traditionnelle québécoise a longtemps eu la réputation d’être prolifique. Les familles de 10, 12, 15 enfants ont marqué la mémoire collective, au point où elles dissimulent une autre réalité : celle de ceux qui empêchaient la famille.

Un mythe répandu veut que, jusqu’aux années 1960, la famille nombreuse était la norme au Québec. Que depuis la conquête anglaise, et particulièrement après la défaite des patriotes, les Canadiens français se seraient mis à procréer vigoureusement, pour contrer les effets de la domination… par le nombre. Une procréation de résistance qui aurait perdurée jusqu’à la Révolution tranquille. La réalité est tout autre.

En réalité dès 1900, seule 1 femme mariée sur 5 aura dans sa vie, plus de 10 enfants. La marmaille à la douzaine était donc loin d’être le choix de la majorité. Au début du siècle, la famille moyenne compte environ 7 enfants et la taille des familles n’a cessé de diminuer depuis. Déjà à l’aube des années 50, la moyenne par famille n’était plus que de 4 à 5 enfants. Dans l’ensemble du Québec, la famille nombreuse était en voie de disparition.

Pourquoi donc a-t-on l’impression que la famille nombreuse était la norme encore récemment ? Parce qu’elle était extrêmement valorisée. Un idéal vertueux, un modèle promu par le clergé catholique. Les prêtres multipliaient les sermons à la messe, les pressions au confessionnal et les visites dans les maisons pour rappeler aux femmes « d’accepter ce que le bon Dieu envoie »… au risque de se voir excommunier. Aux femmes à la santé fragile, certains allaient jusqu’à scander que mieux valait mourir en couches qu’une vie sans enfants !

D’ailleurs au Canada, dès 1892, la vente de moyens contraceptifs était passible d’emprisonnement. Si la pilule fut commercialisée en 1961, la contraception ne fut décriminalisée qu’en…1969 ! Mais si, depuis 1900, la taille des familles n’a cessé de diminuer… c’est que les couples ne se sont visiblement pas gênés pour en faire usage… et en masse! Alors comment faisait-on pour empêcher la famille quand les moyens sont illégaux et immoraux ? Depuis les années 1970, plusieurs historiens se sont penchés sur le délicat sujet et ont mené des dizaines d’entrevues auprès d’ainés. Ceux-ci ont confié des secrets de couchette… parfois curieux et savoureux.

D’abord, l’Église catholique tolérait deux méthodes contraceptives : l’abstinence (sérieusement) et l’allaitement prolongé, puisqu’il fallait bien nourrir le petit dernier. Les autres méthodes risquaient de mener en enfer puisque tous les rapports intimes qui n’avaient pas pour but la procréation étaient des péchés graves. Parmi ces moyens peu respectables, il y avait le condom, quoique peu populaire, illégal et difficile à trouver ; le calendrier, popularisé à partir des années 1940 et surtout : interrompre le rapport intime. Cette dernière méthode très populaire était décrite avec des expressions plutôt…c olorées. Fumer dans le salon… cracher dans la cuisine… faire l’amour à côté…

Des ainés racontent aussi avoir usé de curieuses méthodes… comme sauter sur place après l’amour, chose considérée comme un sacrilège car la femme piétinait son futur fœtus. Une autre ainée a confié qu’elle éternisait ses prières jusqu’à ce que son époux s’endorme pour éviter une nouvelle grossesse. Cette femme eut 18 enfants en 22 ans.

Un peu ridicule à première vue. Ces techniques parfois farfelues et souvent inefficaces témoignent pourtant de l’ignorance de l’époque et de tentatives désespérées pour contrôler les naissances. Jusqu’aux années 1950-60, les jeunes gens – et surtout les jeunes filles – étaient soigneusement tenus dans l’ignorance des choses de l’amour et la contraception était le tabou ultime. Une fois mariés, les époux se trouvaient souvent démunis et isolés pour contrôler la taille de leur famille.

L’Église catholique jouait dans toutes les sphères – même les plus intimes – de la vie et, déplaire à l’Église, c’était aussi se mettre son village à dos. L’État contribuait à cette détresse en limitant l’accès à l’information et aux moyens efficaces de contraception. Enfin notons que les couples qui usaient de la contraception étaient généralement ceux où l’affection et le respect mutuel étaient les plus présent. Ce n’est pas surprenant : il fallait être deux pour que cela fonctionne. Ce n’était pas qu’une affaire de femmes.

Quel est l’intérêt de s’attarder aux secrets de couchettes de nos aïeux ? D’abord parce que la manière dont on use et dont on parle de la contraception est révélatrice des malaises, des tabous et des idéologies d’une époque. Cela permet de réaliser le poids des pressions sociales, religieuses et culturelles qui s’immiscent dans ce que le quotidien a de plus privé. Ce sujet permet aussi de réaliser la volonté dont ont fait preuve les Québécois pour contrôler la taille de leur famille. Finalement rappelons que la contraception change fondamentalement notre quotidien et nos vies amoureuses. Nous sommes passés d’une époque où elle permettait de se sortir de la parentalité à une époque où on sort de la contraception pour devenir parent.

Bonne Saint-Valentin !

Pour aller plus loin :
• Livre : Suzanne Marchand. Partir pour la famille. Septentrion, 2012.
Pour me contacter : MC.Duchesne@outlook.com

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