Solutions technologiques pour peau d’orignal

Louis Gagné exhibe des peaux de phoque sur lesquelles expérimente Écofaune boréale.

Suite à une collaboration avec Écofaune boréale, l’Association crie d’artisanat autochtone (ACAA) envisage de recourir à des technologies modernes pour accélérer la production de peaux d’orignal. L’association étudie également la possibilité d’utiliser des appareils de même type pour produire des fourrures sans avoir besoin d’intermédiaire pour les marchés.

Écofaune boréale, le Centre collégial de transfert technologique en fourrure nordique, est une institution liée au Cégep de Saint-Félicien dont l’objectif est « d’offrir un lieu d’innovation au acteurs socioéconomiques du cuir et de la fourrure », explique le coordonnateur de l’institution située à Mashteuiatsh.

L’ACAA et l’Association des trappeurs cris ont fait appel à Écofaune boréale pour réaliser une étude en deux volets. Le résultat de cette étude, considérablement ralentie par la COVID, a été livré aux commanditaires en mars dernier.

Un processus à reproduire

L’étude servait à démontrer la possibilité de tanner des peaux d’orignal plus rapidement, mais tout en ayant un résultat analogue à ce que produisent les artisans cris.

La technologie peut être utilisée avec succès pour les premières étapes, révèle le directeur général de l’ACAA, Gaston Cooper, mais assouplir la peau est difficile et la fumer est problématique.

Dans le cadre de l’étude, trois membres d’Écofaune boréale ont reçu les techniques auprès de tanneurs d’Oujé-Bougoumou et de Waskaganish. « À travers le processus de recherche sur le cuir traditionnel boucané, nous avons eu la chance de découvrir et comprendre la complexité qui se cache derrière ce procédé très ancien, commente Louis Gagné. Ce procédé, qui donne un résultat exceptionnel quant à la qualité du cuir d’orignal, est certainement le fruit d’années d’observation et d’amélioration effectuées par les artisans cris. La technologie peut grandement aider, mais elle ne peut pas se substituer au savoir-faire humain; nous en avons eu la preuve au cours de la dernière année. »

Avantages

Le rapport d’Écofaune, rapporte Gaston Cooper, conclut que les premières étapes du tannage de peau d’orignal pourraient être faites par des machines et les dernières à la main, comme auparavant. Mais des études supplémentaires pourraient apporter des solutions à l’assouplissement et au fumage.

Pour ce que qui est de la seconde partie de l’étude d’Écofaune boréale, elle prouve que les technologies peuvent facilement être utilisées pour préparer les fourrures de lynx, de castor, de rat musqué, etc. Elles permettraient aux Cris de préparer et vendre directement leurs fourrures sans intermédiaire, sans passer par le réputé encan de fourrure de North Bay. « Les fourrures qui viennent d’Eeyou Istchee sont très respectées, ce sont parmi les meilleures fourrures au Canada », assure Gaston Cooper.

Certaines machines pourraient être utilisées pour l’orignal et aussi pour les fourrures.

Prise de décision

« Il y a là une opportunité d’affaires, analyse M. Cooper. Certaines communautés ont exprimé de l’intérêt pour une tannerie. Mais les études sont préliminaires. Les conseils d’administration des deux organisations doivent être consultés pour une prise de décision. […] À la fin de l’été, on devrait avoir une idée définitive. »

Un gros investissement, selon le directeur général, qui évalue les couts d’acquisition de la technologie entre 50 000 $ et 300 000 $.

Déclin du cheptel

Les artisans et artistes cris utilisent le cuir d’orignal pour fabriquer des mocassins, des mitaines, des gants ou encore des bijoux. En produire davantage, transformer et vendre localement la fourrure s’inscrit dans le contexte où les Cris souhaitent développer le tourisme. Le hic, c’est que le cheptel d’orignaux a diminué, tout comme aussi le nombre d’artisans pouvant préparer les peaux de manière traditionnelle, observe Gaston Cooper. En conséquence, ajoute-t-il, « le prix des peaux a augmenté dramatiquement, comparé à il y a 10 ans. Une peau finie fumée coutait environ 800 $, maintenant, c’est à peu près le double à cause du manque de disponibilité de peau d’orignaux dans Eeyou. »

Collaboration souhaitée

Pour pallier cette rareté, l’Association crie d’artisanat autochtone souhaite mettre de l’avant un dispositif où Cris et Jamésiens donneraient les peaux d’orignaux qu’ils ont chassées à des artisans, préférablement en un seul morceau. « Quand les gens tuent un original, particulièrement les non-Autochtones, c’est souvent coupé en quatre morceaux, dit Gaston Cooper. […] Ils pendent leur viande pour une semaine ou plus. La peau commence à se détériorer, on la perd. »

Les deux organisations cries songent à négocier une entente avec le gouvernement québécois et les garde-chasses pour préserver les peaux.
M. Cooper rappelle qu’un projet pilote analogue, qui s’est passé il y a quelques années à Chibougamau, avait rapporté une vingtaine de peaux à des artisans cris. Mais le contexte a changé.

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Écofaune boréale

Fondé en 2018, Écofaune boréale, le Centre collégial de transfert technologique en fourrure nordique est, selon son coordonnateur Louis Gagné, la première et la seule institution du genre au Canada et aux États-Unis. Quinze personnes y travaillent, en majorité des chercheurs, qui sont aussi chimistes, biologistes ou encore agronomes.
Situé à Mashteuiatsh, le centre possède 1,2 M$ de machineries. « La plupart des équipements viennent d’Allemagne, mais aussi de Turquie, de Grèce, d’Italie et des États-Unis, explique Louis Gagné, mais on a aussi des équipements en bois faits sur mesure au Lac-Saint-Jean. Au départ, on était plus dans la fourrure, mais on a rapidement développé une expertise dans le cuir, le tannage, la préparation des peaux. Nous avons des partenaires partout au Québec. »

Collaboration

Écofaune a récemment travaillé avec la designer de Mashteuiatsh, Valéry Larouche, pour créer du cuir de poisson. « Elle a passé un mois ici pour faire du tannage », note M. Gagné.
Le centre termine actuellement un rapport pour un important protagoniste du secteur de la production de viande qui anticipe de créer une tannerie écoresponsable pour récupérer les dizaines de milliers de peaux jetées annuellement. Le centre a collaboré au niveau de la mise en marché, de la technologie et de la production.
« Tant qu’on va manger de la viande, il va y avoir des peaux, souligne Louis Gagné. Elles viennent de Turquie, d’Italie, de Chine, etc. Ici, ça va aux poubelles. Le Centre des métiers du cuir de Montréal importe tout. Il faut innover, ressusciter l’industrie du cuir […] et créer une filière. Ce n’est pas simple. »
Dans une optique écologique, Écofaune cherche des alternatives aux produits polluants utilisés en tannerie.
L’industrie québécoise de la fourrure et des tanneries a diminué au fil des ans. « L’historien Régis Thibeault, du Cégep de Saint-Félicien, travaille actuellement sur une histoire du tannage », dit Louis Gagné.

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