Survivre aux pensionnats

Église abandonnée dans l'ancien village de Fort George.

Alors qu’Eeyou Istchee n’a pas encore officiellement fait connaitre sa position sur ce qui doit être fait concernant les charniers de pensionnats indiens, une survivante de ceux-ci, Janie Pachano, partage sa propre expérience.

Celle qui, au fil des ans, a occupé différents postes au gouvernement et à la Commission scolaire crie a passé onze ans et demi dans des pensionnats indiens. Elle est aujourd’hui membre du conseil des anciens de Nishiiyuu.

La majorité des années de pensionnat de Mme Pachano se sont déroulées au pensionnat indien anglican St. Philip, à Fort George, qui a fermé ses portes en 1975.

« Quand l’école a été surpeuplée à Fort George, relate Mme Pachano, ils ont commencé à envoyer des Cris à Rouyn-Noranda et dans un village près d’Amos. »

Sans savoir ce qui s’y passait, Madame Pachano voulait aller au pensionnat et son grand-père, avec qui elle vivait, voulait également qu’elle y aille, afin qu’elle puisse « acquérir de l’éducation pour aider les gens ».

Assimilation et violence

Mais un des objectifs de l’institution était l’assimilation.

« On ne pouvait pas parler notre langue, se rappelle Mme Pachano. Ils nous disaient de ne pas écouter ce que nos parents disaient, que ce qu’ils nous enseignaient n’était pas correct. Ils nous disaient que, pour être un bon chrétien, nous devions abandonner nos coutumes et notre langue. Je ne sais pas de quoi ils avaient peur. »

Si la violence n’était pas chose commune du côté féminin du pensionnat, les claques étaient courantes. « Je connais des femmes qui ont eu des problèmes d’ouïe durant un an pour avoir été frappées trop fort sur le côté de la tête », dit Janie Pachano.

Des coups de pied

Mais un incident d’une grande violence a marqué la résidente de Chisasibi, évènement qu’elle partage dans un texte intitulé 215 âmes, écrit à l’occasion de la découverte du charnier de Kamloops en mai dernier

Janie Pachano avait 10 ans et en était à sa troisième année de pensionnat lorsqu’elle a vu une élève se faire frapper à coups de pied dans l’estomac et dans le dos par une superviseure.

« Après notre diner, raconte-t-elle, nous devions jouer dehors jusqu’à ce que les cours recommencent.  La fille était malade. Elle ne pouvait pas bouger. La superviseure lui a dit d’aller dehors mais la fille lui a dit : « Je ne peux pas bouger ». […] La superviseure a commencé à la frapper à coups de pied en direction de la porte. Et quand elle est arrivée à la porte, elle l’a jetée dehors. La fille s’est juste étendue là.  C’était en février, il faisait très, très froid.  Quand j’ai été dehors, elle était encore couchée à terre. »

Cette jeune fille serait morte quelques jours plus tard, le 7 février 1951, selon Janie Pachano.

« On nous a dit de ne pas en parler, particulièrement en dehors de l’école, se souvient Mme Pachano. C’est une scène qui devait me hanter pour toujours. »

Envoyés par Dieu

Lorsque Janie Pachano a commencé à vivre avec sa mère, à l’âge de 12 ans, elle a tenté de lui raconter ce dont elle avait été témoin. « Elle disait : « Ils sont envoyés par Dieu, tu ne dois pas parler d’eux. » Je n’étais probablement pas la seule qui essayait de parler de ce qui se passait, mais nos parents n’étaient pas réceptifs. »

Il y avait au pensionnat des individus plus humains qui rendaient la vie des élèves plus supportable. « Mais c’est dur de savoir si elles étaient véritablement comme ça ou si on commençait juste à s’attacher parce qu’on avait besoin d’attention, d’amour », se questionne Mme Pachano, se référant au syndrome de Stockholm. « J’aime à penser qu’il y avait des gens véritablement gentils et attentionnés, qui faisaient du mieux qu’ils pouvaient pour nous dans les circonstances. »

Après ses années à St. Philip, elle a entendu parler de plusieurs cas d’abus sexuels qui avaient lieu à l’époque, principalement du côté des garçons.

À Sault-Sainte-Marie

Mme Pachano a ensuite fait une partie de son secondaire au pensionnat de Sault-Sainte-Marie, en Ontario, où elle a été témoin qu’une adolescente de 12 ans, déficiente intellectuellement, a été punie pour ne pas être revenue à temps lors d’une sortie de l’école.

« Ils l’ont trouvée sur une voie ferrée, se rappelle-t-elle, elle avait été battue et violée par quatre gars blancs. Et au lieu de punir les garçons, ils l’ont punie et envoyée à l’école de réforme.

Je n’ai jamais vu la justice dans cette punition de quelqu’un n’ayant fait aucune faute. »

Déconnectée de sa communauté

Malgré ses années à l’extérieur des communautés cries, Janie Pachano n’a jamais oublié sa langue.

« J’avais un accent différent. Alors certaines personnes riaient, précise-t-elle, mais j’ai continué à parler cri. Ce qui m’a fait me sentir déconnectée de la communauté, c’est que lorsque je suis partie, tout le monde avait un nom cri, alors je connaissais tous ces ainés et ces adultes par ces noms. Mais, tout d’un coup, tout le monde utilisait des noms anglais et je ne savais plus de qui ils parlaient. »

Mme Pachano était aussi perçue comme étant différente à cause de ses onzeannées passées à l’extérieur, dans un pensionnat indien. « Je faisais des choses que les Cris n’étaient pas supposés faire, ajoute-t-elle. J’aimais aller à l’école, j’aimais apprendre. Je voulais devenir docteure. Ma grand-mère […] soignait les gens malades tout le temps. »

Mais les Affaires indiennes ont contrecarré son aspiration à des études approfondies sous prétexte qu’elle était une femme, qu’elle aurait des enfants, que ce serait de l’argent gaspillé.

On lui a seulement proposé une formation pour devenir femme de chambre ou cuisinière… dans un pensionnat indien.

À quarante ans néanmoins, Janie Pachano s’est inscrite à l’université, obtenant un diplôme en finance puis une maitrise en affaires.

Justice

Contrairement à nombre d’élèves des pensionnats, Janie Pachano n’a pas été victime d’abus physiques ou sexuels. « Des abus psychologiques, oui, affirme-t-elle. Nous sommes probablement tous estropiés psychologiquement. »

Elle ne réclame pas justice pour elle-même mais pour ceux qui ont été vraiment blessés, qui n’ont jamais récupéré suite à des abus psychologiques ou sexuels. « Pour moi, les pires, ce sont les criminels sexuels. Leurs victimes sont ceux qui ont le plus de problèmes. Pour les choses comme ça, les gens devraient sentir la douleur qu’ils ont causée. »

Elle rappelle qu’en outre, des 6 000 élèves qui seraient morts dans des pensionnats indiens, certains sont décédés à cause de la famine, des épidémies de varicelle, de coqueluche ou de rougeole qui sévissaient dans ces endroits surpeuplés.

Support et réconfort

Janie Pachano ne croit pas qu’il y ait un charnier près du site de St. Philip.

« Il y a avait vraiment trop de familles proches pendant toute l’année, analyse-t-elle. Elles auraient remarqué qu’un enfant manquait sans être rapporté. »

Mais pour les recherches qui seront menées ailleurs, elle souhaite que les fouilles et les réinhumations soient faites avec les plus grands soins et respect.

« Que les familles de ces pauvres enfants trouvent le support et le réconfort dont ils ont besoin et qu’on n’entende plus jamais parler de fosses communes de l’époque des pensionnats indiens », écrit-elle dans 215 âmes.

À Chisasibi et Fort George, du 20 au 24 septembre, se tiendra le Fort George Residential School Gathering, ouvert à tous mais destiné aux survivants des différents pensionnats où les Cris furent envoyés. Des repas et différentes thérapies seront disponibles sur place.

 

 

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