Trop voyager

Photo : Makarska, Croatie.

            Trop voyager. Cela sonne comme une bonne blague. Est-il possible de trop s’émerveiller ? De trop aimer ? De trop apprendre ? Pourtant le problème est bien là : à force de vouloir tout voir, on finit par ne rien voir.

Il y a quelque temps, j’ai eu la chance de travailler tout l’hiver dans un musée en Belgique. Je voulais en profiter au maximum, sur place. Qui aurait fait autrement ? Bruxelles est au cœur de l’Europe et je travaillais 4 jours par semaine. Chaque congé était donc minutieusement meublé. C’était devenu la routine : sortir du travail, attraper le tramway, ramasser mes bagages à l’appartement, puis mettre le cap sur la gare ou l’aéroport.

Vint la première erreur. J’ai vu des endroits magnifiques, certes. Mais j’ai aussi totalement négligé d’apprendre à vraiment connaitre mes collègues et mes colocataires. Je l’ai compris trop tard. Ce sont les gens qui font le voyage, non les lieux.

À la fin de mon contrat de travail, l’idée m’est venu de rester un peu plus longtemps sur le vieux continent. De toute façon, je me trouvais sans emploi à mon retour et je ne suis pas du genre « ennuyeuse » avec mes proches. Tant qu’à être encore en Europe, il fallait en voir au maximum !

Ce fut la seconde erreur : le marathon. Six pays en 6 semaines : Irlande, Écosse, Roumanie, Serbie, Bosnie, Croatie. C’était magnifique, mais aussi épuisant physiquement et mentalement. Devoir quitter chaque endroit avant même de s’y être adapté. Ce qui devait être une expérience enrichissante fut plutôt un bourrage de crâne intensif… Que je m’étais imposé à moi-même.

De tous ces endroits intéressants, seules l’Irlande et la Bosnie ont su réellement me marquer. Alors que chaque pays a son potentiel d’émerveillement, je m’enfonçais surtout dans une épuisante routine : train, bus, trouver l’épicerie, trouver la buanderie, explorer le centre-ville, un ou deux musées, trouver la poste (ma sœur collectionne les cartes postales), trouver l’auberge, trouver les guichets automatiques, me demander où j’irai ensuite, trouver comment m’y rendre, trouver où m’y loger…

N’est-ce pas ironique ? Finir par envier la routine de la maison. Se retrouver les pieds dans la mer en Croatie et se dire qu’on a hâte d’être sur la galerie de son 3½, à étendre son linge sur la corde en écoutant du Beau Dommage.

Raconter tout cela me donne l’impression de « rire du monde ». Cracher dans la face de ceux qui attendent impatiemment le vendredi soir, qui passent leur samedi à « zigonner » dans la cour parce que, de toute façon, la fin de semaine, c’est juste 2 jours et les 2-3 semaines de vacances annuelles sont bénies.

Si je te raconte tout ça, lecteur-travailleur-parent, ce n’est surtout pas pour me plaindre et encore moins pour t’écœurer. Je veux juste te communiquer mes réflexions. Je crois qu’au final, la banalité d’une situation nous rend aveugle à sa beauté. Un voyage qui s’éternise perd de sa magie. Le quotidien a aussi sa beauté qu’on ne voit peut-être plus.

Alors toi qui restes chez toi, qui passes son samedi à « zigonner » dans la cour et qui regardes un film en famille chaque samedi soir; toi qui es bombardé d’images idylliques et de récits de voyage (peut-être même les miens); toi à qui on dit sur les médias sociaux que voyager fait de toi quelqu’un; à qui on dit que ta vie est banale. Ce n’est pas vrai! Elle n’est peut-être pas exactement comme tu le souhaiterais, mais quelqu’un t’envie aussi. La maison, c’est une destination de choix.

Je te laisse sur la dernière page de mon journal de ce voyage :

 

Makarska, Croatie                                                              17 mai                                         

J’ai hâte d’être chez moi.

Étendre mon linge sur ma galerie. Laver le plancher de l’appart.

Me réapproprier mon chez-moi.

Bon été ! xx

Photo : Makarska, Croatie. MC Duchesne

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