Un été dans les bois

Jean-Yves Soucy est notamment l'auteur de Secrets de famille (1996), une biographie des jumelles Dionne.

Avec Waswanipi, le défunt romancier Jean-Yves Soucy revient sur un épisode marquant de sa jeunesse et une ère révolue de la vie d’Eeyou Istchee.

La destinée aura voulu que l’œuvre littéraire du Gaspésien d’origine, Jean-Yves Soucy (1945-2017), commence et se termine dans les bois. Elle avait effectivement commencé en 1976 avec Un dieu chasseur, qui raconte l’histoire d’amour d’un trappeur avec une institutrice. Ici encore, dans Waswanipi, la nature – et ceux qui la connaissent intimement- occupe un espace prépondérant et c’est d’ailleurs ce qui vaut au récit d’être publié dans la collection L’œil américain de Boréal, consacrée au nature writing.

Un travail d’été

Inachevé mais abouti, Waswanipi tient davantage du récit autobiographique que du roman. En 1963, il est interdit de vendre de l’alcool aux Autochtones, qui n’ont le droit de vote au fédéral que depuis trois ans. Les pensionnats indiens sont encore en opération, et ils le seront encore pour 30 ans; la Convention de la Baie-James est loin d’être une réalité.

C’est dans ce contexte que Soucy, alors étudiant, se trouve un travail d’été à un entrepôt de matériel de lutte contre les incendies sur une ile près de Waswanipi. Le travail consistera à entretenir le matériel et à patrouiller le secteur en canot avec deux guides cris. Un rêve pour le jeune homme, grandement intrigué par ces mystérieux personnages, rieurs mais pudiques. Ils deviendront progressivement ses amis et l’introduiront à leur culture.

Économie de personnages

Le très court récit de Soucy (120 pages), écrit sous forme de journal, est économe en termes de personnages. Au-delà de ses guides, William et Tommy (unilingue cri), heureux de rencontrer un Blanc respectueux et intéressé par qui ils sont. Il reste son camarade de travail André, un cuisinier quinquagénaire et bougon, au racisme sans doute superficiel, Simon, commis au poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson et Jean, un jeune missionnaire à la beauté angélique qui fait rêver le narrateur.
L’espace narratif est occupé par les balades en canot, les chasses et les pêches que Soucy partage avec ses hôtes. Ces immersions émerveillées dans la nature sont aussi l’opportunité de discussions avec ceux-ci, qui diffèrent dans leur appréhension de l’époque charnière que vit leur peuple. Tommy est profondément troublé par la fragmentation du territoire et l’acculturation générée par les pensionnats, qui causent une rupture dans la transmission des traditions, de l’apprentissage de la chasse et de la pêche, qui font que les jeunes Cris ne sont ni Cris ni Blancs.
William est plus philosophe, lui qui émet l’hypothèse que l’école est peut-être un mal nécessaire, qu’il faut « apprendre une nouvelle façon de vivre comme Cris ».

La collision des temps

Jean-Yves Soucy avait commencé l’écriture de Waswanipi en septembre 2015, près d’un demi-siècle après les événements qu’il décrit. Il mourut en 2017, avant d’avoir terminé.

À ces évènements, il juxtapose plusieurs époques de sa vie. Son enfance d’abord, qui lui sert de point de référence et de comparaison pour ce qu’il vit en Eeyou Istchee et, ensuite, l’impact qu’aura sur sa vie cet épisode. Avant de devenir scénariste, éditeur et écrivain, Soucy exercera divers métiers, dont celui de comptable à Schefferville, où il aura l’occasion de côtoyer des Innus. Et bien plus tard encore, l’écrivain rencontrera un avocat et député cri, négociateur de la Paix des braves… Romeo Saganash, le fils de William. Une des très émouvantes scènes du livre, par ailleurs éloquente quant au chemin parcouru par le peuple d’Eeyou Istchee. Waswanipi se conclut d’ailleurs par des commentaires de l’ancien député fédéral, d’une infinie tristesse.

Il y a bien sûr de la gravité dans Waswanipi. Il y aussi la beauté d’une connivence qui s’instaure entre inconnus, et qui s’exprime parfois par des fous rires partagés. Il y a l’enthousiasme de la découverte.

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