Un rapport accablant sur l’accès au statut d’Indien

Président du Comité sénatorial permanent sur les peuples autochtones, Brian Francis souhaite que la Loi sur les Indiens soit mise au point une fois pour toute, exempte de toute discrimination. )

Un comité sénatorial dépose un rapport radical sur la discrimination et les obstacles bureaucratiques qui complexifient l’inscription au registre des Indiens.

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a rendu public le 27 juin dernier un rapport intérimaire intitulé C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens.

Le Comité, présidé par le sénateur de l’Île-du-Prince-Édouard, Brian Francis, demande des investissements en ressources humaines pour faciliter l’obtention du statut d’indien. Il recommande également des changements aux lois afin de permettre à davantage de personnes d’obtenir ce statut et de dédommager celles qui ont été lésées.

Un rapport radical?

« On peut y référer comme étant radical, concède le sénateur Francis, un Micmac appartenant au groupe des sénateurs progressistes, mais je pense que c’est un rapport vrai. C’est ce qui doit être fait pour rendre la situation juste pour les peuples autochtones. Les iniquités et la discrimination dans la Loi sur les Indiens ont duré assez longtemps. Faisons que ça arrête. »

Des modifications

Au fil des décennies, quelques modifications à la Loi sur les Indiens ont été apportées pour corriger ses dispositions discriminatoires. Avant 1985 par exemple, une femme d’une Première Nation se mariant avec un non-membre de celle-ci perdait son statut indien, tout comme ses enfants. Une autre loi a été adoptée en 2017 permettant aux descendants de ces femmes d’obtenir leur statut.
Selon les témoignages reçus par le comité sénatorial, certaines discriminations persistent et les processus administratifs mis en place pour corriger les erreurs du passé et s’inscrire au registre des Indiens seraient lourds et fastidieux.
« Le comité est préoccupé par les obstacles à l’inscription dont ont fait état les témoins, peut-on lire dans le rapport, notamment : l’accès difficile aux documents; les temps d’attente considérables; les dispositions indéchiffrables et trop techniques qui encadrent l’inscription […]. »

À côté de la cible

Différentes projections démographiques ont été faites à partir des changements apportés à la loi en 2017 pour anticiper combien de personnes auraient désormais le droit de réclamer leur statut et les ressources nécessaires pour le processus. Les projections variaient entre 87 000 à 747 000; on tenait aussi compte qu’un certain nombre de ces personnes ne se prévaudraient pas de leur droit.
Mais les inscriptions sont demeurées en-deçà des attentes; au moment de rédiger le rapport, 28 152 personnes avaient profité des dispositions de 2017 pour s’inscrire au registre. Des témoins interrogés par le Comité, comme Shelagh Day, présidente du Comité sur les droits de la personne de l’Alliance féministe pour l’action internationale, voient dans cette faible participation un signe que le gouvernement fédéral ne prend pas les mesures adéquates pour informer les femmes des Premières Nations et leurs descendants de leurs droits.

Pour un comité de révision indépendant

« Une de nos recommandations demande à Services aux Autochtones Canada d’améliorer le processus d’inscription, entre autres en produisant du matériel de communication clair pour informer le public, de dire le sénateur Francis. Nous demandons aussi qu’ils établissent un temps de traitement précis pour les demandes de statut et un comité de révision des décisions indépendant. »
Le sénateur considère qu’il est irrationnel qu’un individu se plaigne du traitement de sa demande à l’organisme-même qui a traité cette demande.
Le Comité recommande également d’augmenter le nombre d’employés chargés d’aider les demandeurs à effectuer des recherches; que Services aux Autochtones Canada SAC) crée des documents d’information sur les anciennes et les nouvelles règles d’admissibilité dans un langage accessible. En outre, il demande que le Bureau du vérificateur général du Canada réalise un audit de performance des activités de SAC.

Seconde génération

Du strict point de vue de la loi, le comité exige le retrait du paragraphe 6(2) de la loi. En vertu de cette clause, dite exclusion après la seconde génération, une personne dont un seul parent possède le statut d’Indien peut elle aussi avoir le statut indien, mais ne peut le transmettre à ses enfants que si l’autre parent possède le même statut. « C’est une continuité de la politique fédérale d’assimilation, déplore le sénateur Francis. Nous voulons que ce paragraphe soit annulé. »
Selon lui, le comité donne au gouvernement une « feuille de route limpide pour aller de l’avant et supprimer les parties discriminatoires de la Loi sur les Indiens.

Un suivi sur les recommandations

« Mon espoir est que le gouvernement agisse immédiatement et on va faire le suivi pour vérifier s’il met en pratique nos recommandations », dit M. Francis
Il est souhaité que SAC publie dès octobre prochain, sur une base trimestrielle, des rapports de progrès sur la mise en place des recommandations.
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones continue ses travaux et entend soumettre son rapport final au Sénat au plus tard le 31 décembre 2023.
Le gouvernement du Canada a annoncé son intention de modifier la Loi sur les Indiens.

Des lois contradictoires

L’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) rendra public dans quelques jours son propre rapport sur la Loi sur les Indiens, qui fait suite à des consultations financées par SAC.
« Notre rapport recoupera beaucoup celui du Comité », considère le gestionnaire des services légaux de l’AFAC, Adam Bond. « Notre recommandation fondamentale, qui n’est pas dans le rapport du comité, est que la Loi sur les Indiens doit être révoquée et remplacée avec un cadre qui se conforme avec la Loi sur la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). »
M. Bond souligne que, selon cette dernière, les peuples autochtones ont le droit de déterminer leurs propres adhérents et, donc, les deux lois ne sont pas compatibles.
« Ce que nous voulons, poursuit l’avocat, c’est que le gouvernement fasse un plan d’action avec les Premières Nations pour l’annulation et le remplacement de la Loi sur les Indiens. La façon dont elle serait remplacée dépendrait de chaque Première Nation. Il faudrait faire un cadre d’ententes ou de législations qui respectent leurs traditions spécifiques, leurs coutumes et leurs droits. […] Les Premières Nations ont le droit à l’autodétermination. »
Un tel processus s’étendrait sur plusieurs années. Entretemps, l’AFAC croit qu’il faut amender la Loi sur les Indiens pour qu’elle se conforme à la Charte canadienne des droits et libertés.

La question des générations

En théorie, l’abolition de l’exclusion après la seconde génération ferait en sorte qu’une personne n’ayant qu’un seul grand-parent amérindien pourrait obtenir le statut d’Indien.
Selon Adam Bond, c’est une préoccupation pour beaucoup de membres des Premières Nations et aucune solution ne fait consensus. « Ils ne veulent pas que des gens qui ne font pas partie de leur peuple puissent obtenir le statut », explique-t-il.

En attendant, néanmoins, l’AFAC souhaite que cette clause soit abolie dans un processus de consultation de nation à nation.
L’AFAC prône également que de l’aide juridique soit disponible pour guider les personnes dans leur inscription ou pour contester les décisions de SAC.

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