Une nouvelle association des MRC forestières

« Les décisions devraient être régionales, non provinciales. On devrait pouvoir gérer nous-mêmes, en suivant des règles », considère le vice-président de l’Administration régionale Baie-James et maire de Lebel-sur-Quévillon, Guy Lafrenière.

La Jamésie fera partie d’une nouvelle association de municipalités régionales de comté (MRC) dont le but est de défendre leurs intérêts dans le domaine de la foresterie.

Le maire de Lebel-sur-Quévillon, Guy Lafrenière, représentait la région à titre de vice-président de l’Administration régionale Baie-James à la réunion où ont été jetées les bases de cette association, le 7 février dernier à Québec. Les préfets des MRC étaient réunis à l’instigation du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ) pour mieux comprendre les enjeux du secteur.

Sauver les communautés

« C’est pour la défense des intérêts régionaux, pour sauver nos communautés, explique M. Lafrenière. Dans le Nord-du-Québec, on vit de la forêt. L’industrie parle au gouvernement. Nous aussi, on veut lui parler. […] Les décisions devraient être régionales, non provinciales. On devrait pouvoir gérer nous-mêmes, en suivant des règles. Il faut améliorer des choses, comme le reboisement, […] le rendement, la protection du caribou. On veut que, dans 50 ans, l’industrie forestière fasse encore vivre la région. »
M. Lafrenière souhaite également qu’il y ait plus de transformation en région, même s’il juge que la Jamésie est bien desservie de ce côté.
Les préfets doivent se rencontrer de nouveau à Québec la semaine du 20 février pour développer l’association. Une proposition sur la table est d’utiliser la structure de l’Alliance forêt boréale, dont le conseil d’administration est formé d’élus des MRC Domaine-du-Roy, Haute-Côte-Nord et Fjord-du-Saguenay, pour lui donner une vocation plus vaste.

La décentralisation

La question de la régionalisation des décisions pour le secteur forestier est dans l’air; le 14 février, le comité sur la forêt de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), où siègent les mairesses de Chibougamau et de Chapais, Manon Cyr et Isabelle Lessard, a exprimé la volonté que soit décentralisée la prise de décision pour le secteur forestier « pour une gestion de la ressource propre aux réalités de chaque milieu ».
« Nous sommes à un point tournant, pour nos régions forestières, selon le président du comité et maire de Thurso, Benoit Lauzon. Afin que le secteur forestier demeure un levier économique structurant, nous devons collectivement revoir nos façons de faire. Je pense […] à la résilience climatique, pour que nos forêts soient plus diversifiées et moins à risque face aux maladies […]. Il faut innover plus que jamais et profiter du haut potentiel de la biomasse, pour permettre à nos régions d’optimiser l’utilisation de la ressource, tout en générant de nouvelles retombées locales. »
En entrevue à CHIP 101,09, M. Lauzon a affirmé qu’il allait demander au gouvernement de ramener les postes décisionnels en région.

Terrain et communication

Le CIFQ appuie cette décentralisation de la prise de décision pour le secteur forestier, sans préciser comment cela sert ses propres intérêts.
« On voit les mêmes choses », dit le président-directeur général de l’organisme, Jean-François Samray. « Tout le monde constate que, avec la centralisation de la prise de décision, il n’y a plus le contact sur le terrain comme avant. Dans les anciens régimes forestiers, les ingénieurs et les techniciens étaient sur le terrain, ils voyaient les gens sur une base régulière, on n’attendait pas pour dire : « Voici le plan de coupe pour les trois prochaines années. » Il y a une efficacité à être sur le terrain et à l’écoute, et de régler les choses au fur à mesure. Les gens […] ont l’impression que les décisions sont prises à Québec pour des impératifs qui ne sont pas vraiment locaux. Il faut une foresterie faite par et pour les gens des régions. »
Régionaliser la prise de décision sert aussi à appliquer des décisions spécifiques à chaque région, avance M. Samray. Une région peut avoir plus de conifères qu’une autre, explique-t-il, les enjeux d’harmonisation des usages peuvent être différents.
Le 22 février prochain, M. Samray est invité par la Fédération québécoise des municipalités à une rencontre sur l’aménagement du territoire forestier.
« On va parler des pistes d’avenir et de comment on peut regarder ensemble », dit-il.

Conflit d’intérêt?

Spécialiste de la planification écologique du territoire et ancien résident du Nord-du-Québec, Yvan Croteau trouve hautement discutable le fait que les élus se soient rassemblés à l’invitation du CIFQ.
« Ça veut dire que le boss de la forêt n’est ni la municipalité ni le gouvernement, analyse M. Croteau. Si le regroupement de préfets se veut démocratique et diversifié, c’est lui qui aurait dû inviter le Conseil de l’industrie, à venir s’asseoir avec les autres acteurs citoyens. […] Il y a carrément un conflit d’intérêt. »

Pour Yvan Croteau, les municipalités n’ont pas le mandat et les compétences de la gestion des terres publiques. La démarche de l’Alliance forêt boréale, si c’est le véhicule choisi, viendra court-circuiter les orientations de la Stratégie d’aménagement durable des forêts (SADF) qui sont pourtant assez claires sur la gestion écosystémique et intégrée des forêts, notamment sur la protection de la biodiversité, des habitats fauniques, et les consultations particulières envers les Premières Nations. « Encore une fois, s’insurge-t-il, on est en droit de se demander qui tient le volant sur la gestion de notre patrimoine collectif. »

Les sociétés forestières régionales

Tout de même, Yvan Croteau appuie le modèle de sociétés forestières régionales proposé par l’ancien sous-ministre de Tourisme, Chasse et Pêche, Michel Duchesneau. Le modèle est expliqué dans deux versions successives (2008 et 2021) d’un document déposé au ministère des Ressources naturelles et des Forêts.
Les sociétés forestières seraient constituées de représentants de l’industrie et des municipalités, mais aussi de la société civile et, dans certaines situations, des Premières Nations. « Mais le gouvernement doit garder le contrôle. Il doit garder cette responsabilité et fixer les orientations », souligne Yvan Croteau.

Moins de lourdeur administrative

« Il apparait évident qu’un mandataire ou un organisme intégrateur, indépendant du ministère qui se trouve présentement juge et partie, s’avère nécessaire dans le processus si on veut pallier la déficience des lacunes décrites, écrit Michel Duchesneau dans Sociétés forestières régionales – Proposition pour favoriser l’atteinte des objectifs d’aménagement intégré des forêts. Ce mandataire contribuerait à rendre le processus plus agile en diminuant la lourdeur administrative du fonctionnement actuel. »

Le mandat initial des sociétés forestières serait de concevoir et de réaliser concrètement les plans d’aménagement forestier intégré opérationnel découlant des Plans d’aménagement forestier intégré tactique (PAFIT), d’harmoniser et de réaliser les plans annuels requis pour atteindre leurs objectifs.
« C’est une proposition réfléchie et solide, considère Yvan Croteau. L’ordre des ingénieurs forestiers s’oriente vers une démarche semblable, […] Travailler de façon multidisciplinaire est incontournable. […] L’industrie sera un acteur parmi les autres. »

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